Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles

Lettre à F. Fillon, Ministre de l’Education Nationale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche


Monsieur François Fillon

Ministre de l’Education Nationale

de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche

110 rue de Grenelle

75357 Paris 07 SP

Paris, le 9 avril 2004

Monsieur le Ministre,

L’organisation future de la recherche scientifique en France va faire l’objet de discussions et de décisions dans les semaines qui viennent. Nous nous félicitons de ces nouvelles perspectives.

Par la présente, nous avons l’honneur de solliciter un entretien avec vous pour vous présenter quelques particularités de l’organisation actuelle des sciences mathématiques qu’il nous semble important de voir prises en considération dans le cadre des adaptations nécessaires. Il nous revient aussi de vous alerter sur les risques que court actuellement l’école mathématique française si certaines de ses caractéristiques ne sont pas reconnues. C’est la poursuite du développement de cette école et l’élargissement en cours de son champ qui peuvent être en jeu.

Dans la période de doute que traverse actuellement la recherche scientifique en France, les sciences mathématiques sont reconnues comme un des piliers sur lequel notre pays peut s’appuyer car l’école française jouit d’une reconnaissance internationale indiscutable. Il faut pourtant remarquer que la qualité, non contestée, de cette école repose sur des bases qui peuvent être rapidement fragilisées si l’on n’y prend garde. L’élément clé réside dans la réussite du renouvellement des générations.

Voici brièvement les faits. La communauté mathématique a fait le choix d’un équilibre original entre sa représentation dans les organismes de recherche (principalement au CNRS, et dans une moindre mesure à l’INRIA) et dans le monde universitaire. À ce jour les mathématiciens du CNRS ne représentent qu’un peu moins de 15 % de l’ensemble de la communauté mathématique académique, les quelque 85 % restants se trouvant dans les universités, avec de plus une bonne circulation entre ces positions statutaires. L’apport du CNRS dans ce dispositif est considérable tant par le rôle qu’il joue dans la structuration de la communauté au niveau national que par l’attractivité qu’il offre pour les jeunes chercheurs du meilleur niveau, français ou étrangers. Son apport doit donc être absolument préservé, voire élargi.

Les mathématiques sont ainsi une des rares disciplines qui a réussi à faire fonctionner une mobilité réelle entre les organismes de recherche et l’Université. Tout le monde semble s’accorder aujourd’hui à reconnaître qu’il s’agit d’une nécessité pour garantir le dynamisme de la recherche et un couplage efficace entre la recherche et l’enseignement. Cette mobilité va impliquer que dans les dix années à venir les postes qui vont se libérer en mathématiques vont principalement se trouver dans les universités. Celles-ci vont donc avoir une responsabilité toute particulière dans le maintien de la qualité de la recherche mathématique française. Les recrutements universitaires se font aujourd’hui, presque exclusivement sur la base des besoins d’enseignement. Dans ces conditions, compte tenu de la baisse préoccupante actuelle du nombre des étudiants scientifiques, le potentiel de recherche dans les sciences mathématiques pourrait être gravement affecté : le découragement des jeunes docteurs et la baisse du nombre des étudiants en sciences s’entretiendraient mutuellement.

Or, les mathématiques ont une place centrale dans les sciences et dans la haute technologie ; les contacts avec d’autres disciplines (qui ont toujours existé) se sont multipliés et diversifiés ces dernières années, notamment avec l’émergence des interfaces avec la biologie et les sciences et technologies de l’information. L’impact des mathématiques dans le monde industriel et des services, tout particulièrement celui des hautes technologies, est de plus en plus fort, et le couplage entre la recherche académique et la recherche finalisée a fait, dans notre pays, des progrès remarqués dans les dernières années.

Les postes de chercheurs et d’enseignants chercheurs sont donc nécessaires à la fois pour assurer le niveau des mathématiques fondamentales mais aussi pour soutenir et développer les interactions avec les autres sciences et l’industrie, essentielles pour l’avenir scientifique et économique de notre pays. C’est aussi la condition pour que des personnels ayant le niveau de qualification suffisant puissent relever les grands défis technologiques du monde industriel.

Le nombre d’emplois de mathématiciens dans les universités a déjà commencé à décroître. Nous souhaitons appeler votre attention sur cette tendance qui, si elle se confirmait, pourrait gravement et durablement affecter la capacité d’action de l’école mathématique française, et donc non seulement priver notre pays d’un de ses atouts reconnus sur la scène scientifique internationale, mais aussi nuire à l’ensemble des disciplines scientifiques et au développement industriel. Ce problème ne se pose pas seulement dans les grands centres mais dans toutes les universités où des équipes performantes, éventuellement de petite taille, ont su s’insérer dans des réseaux bien connectés tant au niveau national qu’européen. Dans la vie de ces réseaux et leur régulation, le CNRS joue aujourd’hui un rôle essentiel qui ne doit pas être sous-estimé.

Pendant notre entretien, nous vous présenterons plus complètement les questions auxquelles doit faire face aujourd’hui la recherche dans les sciences mathématiques en France, et le désir que soit affichée, à l’occasion des recrutements dans les universités, la prise en compte du développement de la recherche dans les mathématiques et leurs interactions là où la qualité des laboratoires le justifie. Comme la recherche mathématique dépend tout particulièrement d’un flux continu et régulier de recrutements de jeunes chercheurs de qualité, vous comprendrez notre inquiétude si cet aspect du problème n’était pas correctement perçu.

Vous souhaitant bonne réception du présent courrier, et vous remerciant par avance pour votre écoute, nous vous prions, Monsieur le Ministre, d’agréer l’expression de notre très haute considération.

Michel Delecroix Michel Théra Michel Waldschmidt

Président de la SFdS Président de la SMAI Président de la SMF

SFdS : Société Française de Statistiques

SMAI : Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles

SMF : Société Mathématique de France

Adresse pour la réponse : Institut H. Poincaré, 11, rue Pierre et Marie Curie, 75005 Paris


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