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Vie de Mathématicien : François Sauvageot

francois Que font-les mathématiciens ? François Sauvageot, professeur en classes préparatoires aux grandes écoles, s'exprime sur le sujet à travers une interview que nous lui avons proposée.

  • D'où vient votre passion pour les mathématiques ? Et pourquoi avez-vous décidé d'étudier les mathématiques ?

    Je me suis passionné très tôt pour les maths. Avant même de savoir ce que c'était, en fait. Le monde mathématique est un monde de paix, un monde stable sans turbulences et sans arbitraire. En ce sens il est très sécurisant. Par ailleurs les maths sont un espace de liberté et de créativité que l'on peut parcourir bien avant de savoir lire et écrire. Je crois que mon amour pour les maths s'est développé avec les histoires que je me racontais tout petit.

  • Est-ce que vous pouvez nous parler de votre parcours scolaire/universitaire ?

    J'ai appris les formes, les couleurs et les nombres à Strasbourg, où je suis rentré en CP à cinq ans. J'ai ensuite suivi mon père à Paris, pour un court passage à l'école de la rue Lepic, avant de déménager à Boulogne-Billancourt. Là je suis allé à l'école de la rue de Silly dont j'ai gardé surtout le souvenir de la directrice, Madame Amar, qui savait me protéger de tous ceux que mon côté premier de la classe énervait au point de me traîner dans la boue. Ensuite j'ai fréquenté le collège du Vieux Pont. J'y ai fait mes première rencontres mathématiques : Annick Blot en cinquième et Michèle Mathiaud en troisième. C'est Madame Mathiaud qui m'a donné le goût de la rigueur et m'a appris que transmettre et partager des maths est bien plus ardu que simplement les comprendre. Ma vocation date de cette époque. C'est aussi elle qui m'a poussé à aller au lycée Louis le Grand. J'étais son second élève à y aller, après Philippe Kahn. J'y ai fait des études assez brillantes en maths, plus modestes dans les autres disciplines. C'est à cette époque que j'ai décidé de devenir mathématicien. Je ne savais pas bien ce que ça voulait dire, mais j'avais envie de faire des maths mon métier. J'aimais beaucoup ça ! J'ai passé le concours général et ai participé aux Olympiades internationales de maths. Je n'ai pas vraiment eu de chance, parce qu'elles se tenaient à Paris, au lycée Louis le Grand, et que je n'ai donc pas eu le plaisir du dépaysement. Je ne voulais pas devenir ingénieur et j'ai donc longuement hésité à entrer en classes préparatoires. Mais comme on y prépare aussi aux Écoles Normales Supérieures, j'ai finalement tenté l'aventure, toujours au lycée Louis le Grand. J'y ai été assez malheureux et j'avais hâte d'en finir. J'ai eu la chance de rentrer à l'ENS Paris où je me suis lancé dans des études de maths, sans surprise, tout en mâtinant mon parcours de physique, notamment de mécanique statistique et de mécanique quantique, et d'informatique. En deux ans j'ai obtenu deux licences, de maths et de physique, un master (en fait maîtrise et DEA à l'époque) et l'agrégation. Ensuite j'ai ralenti le rythme en commençant une thèse, terminant mon magistère et surtout en partant pour Princeton, aux États-Unis.

  • Avez-vous eu envie de poursuivre vos études universitaires par une thèse ? Est-ce que vous vouliez continuer votre carrière dans l'université ?

    J'avais soif d'apprendre et il me restait deux ans à passer à l'ENS, donc je n'ai pas tergiversé et je me suis lancé dans une thèse. J'ai beaucoup hésité quant au domaine. J'avais suivi des cours de troisième cycle sur les groupes de Lie et les formes automorphes, mais aussi en probas. Finalement j'ai été convaincu de rester du côté automorphe, alors que j'aurais certainement dû m'intéresser à la percolation. C'est à Princeton que j'ai vraiment commencé mon travail de thèse, tandis que j'étais en train d'accomplir mon service national (civil). Je travaillais vaguement avec Robert P. Langlands. Vaguement parce que je travaillais sur le programme de Langlands, mais lui avait décidé de changer de sujet et s'intéressait à la percolation ! Quand je suis revenu des États-Unis, j'avais encore une année à effectuer à l'ENS et je voulais devenir enseignant, utiliser mon agrégation pour être prof dans le secondaire. Là j'ai été fortement incité à changer d'avis et on m'a proposé de devenir caïman, c'est-à-dire prof agrégé en poste à l'ENS. C'était difficile de refuser et surtout passionnant. Je suis resté jusqu'à la fin de ma thèse, ce qui m'a pris relativement longtemps puisque j'ai passé cinq ans comme caïman à l'ENS Paris ! Je voulais toujours enseigner, je n'ai donc pas cherché à entrer au CNRS, et on m'a incité à entrer à l'université, et c'est comme ça que je me suis retrouvé Maître de conférences à l'université Paris-Diderot.

  • Comment êtes-vous devenu enseignant en classes préparatoires ?

    C'est une longue histoire ! Pour faire court, après avoir préparé des étudiants au CAPES et à l'agrégation, puis être intervenu en IUFM (les anciens ESPE) pour former des profs des écoles, je me suis passionné pour la communication avec le grand public. J'ai beaucoup œuvré pour la fête de la science. Et puis quand ma fille aînée a atteint l'âge d'entrer au collège, nous avons décidé, ma femme et moi, de quitter la région parisienne, ses transports, sa pollution, sa violence. Nous étions tous les deux maîtres de conférences, elle en physico-chimie de l'atmosphère et moi en maths. Quitter la région parisienne a eu un prix assez fort ! Après quelques espoirs liés à des échanges de postes, tous avortés, des mutations, qui n'ont jamais abouti, nous avons décidé de tenter l'aventure : on m'a proposé un CDD au CNRS pour m'occuper de communication en maths. Je devais travailler pour l'ancêtre de l'INSMI et pour un institut de communication du CNRS, l'ISCC. Ma femme, quant à elle, a dû prendre un congé sans solde et espérait faire aboutir une mutation ou trouver un job dans la qualité de l'air. Rien de tout cela n'a abouti et mon CDD ne durait que deux ans. Nous avions alors le choix entre rentrer bredouilles à Paris et récupérer nos postes de maîtres de conférences, ou trouver une autre solution. Ma femme a alors pris sa retraite (on pouvait encore, à l'époque, avec trois enfants et quinze années de service) et j'ai demandé ma réintégration comme prof agrégé. Pour tout dire, j'avais plutôt envisagé de demander à devenir prof des écoles. On m'a alors expliqué que j'étais surqualifié pour le job. Incroyable mais vrai. On avait même des doutes quant à l'idée de me nommer en collège. En même temps le collège est terriblement dur et je n'avais pas une grande envie d'y aller. En fait, la réalité était qu'il était plus facile de me nommer en classe prépa qu'ailleurs car la décision appartenait alors à seulement quelques personnes (à savoir l'inspection générale de maths). J'ai donc postulé en classe prépa et j'ai demandé une classe où les maths ne sont pas la matière de sélection (enfin, pas trop), à savoir BCPST, biologie-chimie-physique-sciences de la terre.

  • Pourquoi avez-vous choisi cette carrière ?

    Comme je viens de l'expliquer, c'est avant tout parce que l'université n'a pas voulu me garder ! Ce n'était pas un choix par dépit, mais disons que j'étais plutôt parti pour explorer les rencontres avec le grand public et que ça me plaisait beaucoup. En même temps j'ai toujours aimé enseigner, alors je n'ai pas hésité longtemps. Quand j'ai demandé ma réintégration, on m'a d'abord proposé un poste de remplaçant, TZR ou titulaire en zone de remplacement. C'était décevant de se retrouver à 40 ans passés sur un tel poste et, surtout, nous avions quitté la région parisienne avec l'idée d'améliorer notre situation au niveau des transports… Alors j'ai cherché d'autres pistes. Ni l'université, ni l'enseignement secondaire ne m'en ont proposé, que ce soit comme ingénieur de recherche, prof agrégé détaché dans le supérieur etc. J'ai finalement frappé à la porte de l'enseignement privé où on m'a accueilli à bras ouverts ! J'ai eu deux propositions pour enseigner en seconde année de classe prépa. Et puis un événement tragique est survenu : un prof de classe prépa du lycée Clemenceau de Nantes a été victime d'un AVC. Le 29 août il fallait le remplacer au pied levé. On m'a appelé. J'ai hésité à refuser, je n'avais pas le sentiment d'avoir été bien accueilli et estimait ne pas devoir grand chose. Mais finalement l'enseignement privé n'est pas mon premier choix et je risquais surtout de ne plus pouvoir évoluer. J'ai donc accepté ce poste, même s'il était en MPSI, maths-physique-sciences de l'ingénieur. Je me suis dit que je pourrais enseigner et apporter des ouvertures à ces étudiant(e)s qui se destinent à devenir ingénieur(e)s. Finalement j'ai pris comme un challenge l'idée de transmettre l'esprit de liberté des maths à des étudiant(e)s dont on pense souvent que leur formation ressemble à un carcan, voire à une chape de plomb destinée à étouffer leurs initiatives. Et puis les classes prépas sont, du moins encore pour l'instant, une formation gratuite, ouverte à tou(te)s et d'excellente qualité. Bref, je pouvais faire contre mauvaise fortune bon cœur et me lancer dans l'aventure pour former majoritairement des ingénieur(e)s, mais aussi quelques mathématicien(ne)s ou autres universitaires.

  • Que faites-vous actuellement ?

    Je suis prof en deuxième année de classe prépa, option MP*, maths-physique. Je prépare donc des étudiant(e)s pour des concours comme les ENS, l'X, Centrale, les Mines ou encore les CCP. Mais j'essaye de garder du temps pour mes autres activités. Je garde une (légère) composante recherche en participant aux activités de l'IREM, l'institut de recherche sur l'enseignement des maths, et je m'intéresse notamment aux probas et à la façon dont elles sont comprises ou perçues par diverses populations : des écoles au grand public en passant par les profs. J'anime un club de maths au lycée mais j'interviens aussi dans d'autres établissements soit pour des clubs, soit pour des projets comme MATh.en.JEANS. Nous participons notamment au TFJM2, le tournoi français des jeunes mathématiciennes et mathématiciens, une super initiative où l'on s'affronte par équipes de six autour de problèmes plutôt difficiles. J'anime un atelier « Maths en scène » pour les étudiant(e)s de prépa. Il s'agit de faire des maths et du théâtre, pas mal de maths mais sans jamais chercher à utiliser un vocabulaire mathématique, voire même de ne pas parler du tout. Le but est quand même de faire des démonstrations et de partager des maths avec le public (éventuel). Nous avons pas mal travaillé sur les groupes, notamment les permutations et étudié la résolution des équations algébriques. Mais nous faisons aussi un spectacle de cabaret avec des tours de magie (automathique !). Je continue mes actions grand public : spectacles d'improvisations mathématiques, conférences, radio, télé, presse, et même un peu de cinéma ! J'ai créé la rubrique « Café des maths » sur le site « Images des mathématiques », et je continue à m'investir un peu dans ce projet très ambitieux et passionnant. Je réfléchis aussi à écrire des livres. Enfin j'ai créé avec ma femme et des ami(e)s l'association « Résonance – Art et science » dont le but est de mêler les arts et la science, comme la danse et la physique, les maths et le théâtre, etc.

  • Est-ce que vous êtes satisfait de votre choix ?

    Comme je l'ai dit, je n'ai pas tout choisi, mais au final je suis content de ces choix ! J'ai réussi à quitter Paris, je suis finalement devenu enseignant comme je l'avais rêvé alors que j'étais encore étudiant et j'arrive à trouver un peu de temps pour mener d'autres actions. C'est tout de même très chouette !

  • Changeriez-vous quelque chose dans votre vie comme mathématicien ? Quels sont vos projets pour l'avenir ?

    Ah ! Si je pouvais vivre de mes spectacles de maths et de tout ce que je fais autour de l'animation, je pense que je me dispenserais très volontiers des centaines de copies par mois et du stress de la préparation aux concours ! Comme je vis à Nantes, la ville de Royal Deluxe, des machines de l'île, de l'éléphant, de la petite géante, de l'arbre aux hérons… j'aimerais pouvoir créer des spectacles grand public dans la rue ! Ce serait formidable de pouvoir partager des maths avec un public vraiment large.

  • Que conseilleriez-vous aux mathématiciens qui veulent devenir enseignants ?

    Enseigner c'est souvent se mettre à nu et s'exposer, prendre des risques. En fait je pense que pour enseigner, il faut avant tout être soi-même. Surtout en maths ! Nous n'avons pas le support d'une œuvre littéraire ni même d'une expérience. Par conséquent il faut vivre sa discipline ! Alors il n'est peut-être pas inutile de faire un bout de chemin avant de se consacrer à l'enseignement. Faire une thèse peut permettre de prendre ce temps. En tout cas je crois qu'il faut garder d'autres activités en parallèle pour s'enrichir et pouvoir ainsi transmettre tout en se renouvelant. Quant au parcours, peu importe, en fait. L'agrégation est difficile et ne vaut que si on a le temps d'aller explorer toute la beauté de ces maths que l'on n'enseigne plus beaucoup et que l'on dit classiques, mais aussi d'aller se confronter à la modélisation. Bien entendu l'agrégation apporte aussi un confort matériel, surtout en termes d'heures de cours. Mais on peut vivre sa passion sans l'agrég !

  • Est-ce que votre passion et votre curiosité pour les mathématiques sont toujours aussi fortes ?

    Absolument ! Je dis souvent qu'une fois qu'on a ouvert des yeux mathématiques sur le monde, il est impossible de les refermer ! Tout ce qui me choque ou m'indigne me ramène aux maths. Et puis les maths continuent de me faire rêver ! D'ailleurs tout cela alimente mes spectacles d'improvisation ainsi que les ateliers que j'anime dans les écoles ou avec mon association. Pour avoir longtemps été fasciné par le grand théorème de Poncelet, celui qui dit qu'en traçant successivement des tangentes à une ellipse à partir de points d'une autre ellipse la contenant, la trajectoire se referme ou pas et cela indépendamment du point de départ… comment ne pas être émerveillé quand j'apprends qu'on peut avec cette construction obtenir tous les nœuds ?!

  • La vulgarisation des mathématiques est une partie importante de votre travail. Vous vous êtes engagé dans plusieurs actions pour le grand public, on vous a notamment vu récemment dans le film « Comment j'ai détesté les maths ». Qu'est qui vous plaît dans ce type d'activité ?

    Le contact avec le grand public m'est devenu nécessaire. Comme me l'a appris ma prof de troisième, Michèle Mathiaud, transmettre est un art difficile. Et je le trouve passionnant parce que rien n'est acquis. Mes étudiant(e)s n'ont pas vraiment le choix : le programme me dicte ce que je dois leur transmettre et après il faut bien qu'ils s'y mettent. Bien sûr il m'arrive souvent de digresser, mais fondamentalement c'est un public captif. Rien de tel avec le grand public ! Quand je parle de démocratie, de vote, d'impôts, de camping, d'inondations etc. avec une audience variée, je ne sais jamais à quoi m'attendre : de la sympathie ou au contraire une attitude agressive. Et pourquoi ? Comment réconcilier les gens avec les maths ? Comment faire avec leurs blessures mathématiques ? Et puis cela m'a amené à faire de nombreuses rencontres, au détour d'une conférence, et même parfois dans la rue. Que ce soit des professionnel(le)s ou non, j'ai appris énormément au contact de gens qui sont venus me voir. Et j'espère bien que ça va continuer ainsi encore longtemps ! Au fait, je n'aime pas trop le mot « vulgarisation » ! Ce n'est pas vulgaire du tout ! Je préfère parler de « science populaire », comme on pouvait le dire au XIXème siècle.

  • Quels sont vos projets à venir dans ce domaine ?

    Je collabore au scénario d'un film. Je n'ai pas encore eu de proposition pour intervenir comme acteur dans un nouveau film, mais je crois que ça me plairait bien ! Je suis en train de réfléchir à deux livres. L'un avec des réflexions sur les maths, l'autre pour partager des maths avec le plus grand nombre. Et sinon je continue à faire tourner mon spectacle d'improvisations mathématiques et à donner des conférences. Toute mon actu est sur mon site perso : mathom.fr !

  • Selon vous quelles sont les raisons qui font des mathématiques le sujet le plus difficile et pas toujours aimé parmi les autres sujets scolaires ?

    Le plus difficile, ça dépend pour qui ! Je crois que le fait de sélectionner avec les maths a fait beaucoup de tort à la discipline. C'est d'ailleurs incroyable qu'après l'échec de la réforme des maths modernes, on continue dans cette voie alors même que les profs de maths sont très souvent hostiles à la sélection par les maths. Et pourtant, on n'en fait pas tant que ça. Il n'y a qu'à comparer la série S aux autres. À quand une vraie filière scientifique avec des horaires de sciences, et donc de maths, conséquents ?! À l'école primaire, les maths ne sont pas si détestées. Les opinions sont plus variées. C'est au collège que ça devient difficile. En fait le collège est un moment difficile ! Les programmes sont souvent des freins pour faire des activités plus adaptées au public. Il faudrait pouvoir s'en écarter, voire se dispenser de programme ! Les plus fragiles en maths ont des soucis qui sont souvent bien antérieurs ou ont des difficultés liés à des problèmes extérieurs à la classe, tandis que d'autres ne sont pas assez nourris et s'ennuient après la vingtième répétition du théorème de Pythagore. D'ailleurs faites l'exercice, combien de triangles rectangles avez-vous rencontré en classe et dont les longueurs des côtés ne soient pas multiples de (3, 4, 5) ? Et pourtant les profs de maths font des efforts, et essayent de contenter à la fois les réformes, les parents, les enfants… mais c'est dur, très dur ! Les IREM rendent beaucoup de service en ce regard. Bref, à mon sens, le vrai problème, c'est la note et la sélection.

  • Quel type d'activité pourrait-on proposer pour rendre les mathématiques plus populaires ?

    Vaste question ! Je crois qu'il faut rappeler que c'est une activité humaine ! Il faut donc faire venir des mathématicien(ne)s dans les classes, organiser des sorties, utiliser l'actu pour bâtir des séquences pédagogiques et ne jamais s'interdire de réagir mathématiquement quand c'est possible. En particulier les maths peuvent interagir avec les autres disciplines : histoire, philosophie, éducation civique etc. Plus avant j'aimerais que l'on valorise plus la recherche et le sens. Pour cela il me semblerait utile de faire appel à qu'on appelle les narrations de recherche. Tout comme en EPS on a appris à ne pas se focaliser sur la performance, il faut apprendre à ne pas restreindre les maths aux résultats. Mais pour cela il faut que les contrats didactiques soient énoncés clairement. Il faudrait aussi que la France comprenne que pour faire évoluer massivement son système éducatif, il faut investir dans la formation continue des profs. Or, celle-ci est essentiellement inexistante. Un terrible paradoxe ! Quant à la popularité auprès du grand public, je ne sais pas. J'essaye des choses, d'autres en essayent d'autres… Je crois de mon côté qu'il faut aller à la rencontre du public en tous les sens du terme : aller le voir, parler sa langue et ne pas croire qu'on en sait plus que lui. La rencontre est avant tout un échange ! Je crois aussi qu'il ne faut pas donner une image froide et inaccessible des maths, comme le font certaines expos. Là encore, la clef est de montrer que c'est une activité humaine et de montrer pourquoi on peut la partager, sans arrogance.

  • Quelles sont selon vous les qualités nécessaires pour réussir une vulgarisation scientifique efficace ?

    Efficace ? Je ne suis pas sûr qu'on puisse mesurer quoi que ce soit ! Quand un enfant a les yeux qui brillent, je considère que j'ai gagné ma journée. Bien sûr que j'aimerais que ce soit trente gamin(e)s et pas un seul… mais l'important est que ces rencontres existent et que chacune d'elles apporte un trait supplémentaire à ce tableau impressionniste qu'est la science populaire. Et puis je sais qu'on ne peut pas prédire ce qui marche et comment ça marche, pas plus qu'on ne peut dire ce qu'il restera d'une rencontre. L'alchimie est complexe. Alors mon seul conseil est d'accepter d'être soi ! De se mettre en danger, d'accepter de se planter, bref d'être sérieux tout en ne se prenant pas au sérieux. Et remettre sans cesse les choses en question : toutes les rencontres diffèrent d'une fois sur l'autre et, bien entendu, ce qui compte ce n'est pas la personne qui intervient, ni même ce qu'elle veut transmettre et par quel biais (conférence, atelier, film etc.), non, ce qui compte le plus c'est l'autre ! La personne avec qui on échange. Alors voilà : être soi et penser à l'autre ! Je ne sais pas si ce sont des qualités ! De mon point de vue, tout le monde peut développer des stratégies pour aller affronter le public à sa manière. Reste qu'il faut de l'énergie, de la bonne humeur et un brin d'humilité ! Et s'enrichir sans cesse : prendre ici, rendre là. Je trouve que l'image de passeur est jolie et bien adaptée. Il ne lui manque que l'aspect partage.

  • En particulier pour la vulgarisation des mathématiciens (où l'abstraction peut constituer une barrière pour certaines personnes), quels conseils donneriez-vous pour parvenir à montrer concrètement la beauté et l'aspect spectaculaire de cette discipline ?

    Bon là il faut être honnête, c'est très dur. Mettre en scène les maths, ce n'est pas facile, sans doute même est-ce plus dur que de démontrer des théorèmes… ou en tout cas c'est du même niveau de difficulté. Le souci est que ce n'est pas très valorisé, voire pas du tout dans le monde universitaire ou scolaire. Mais ce n'est pas une raison pour abdiquer et balancer des maths à la cantonade ! Il faut parvenir à parler une langue non mathématisée, c'est essentiel. On peut aller vers des concepts ensuite, si la mayonnaise prend, mais au début il faut s'y refuser. Et sans tricher ! Sans raconter n'importe quoi. Cela nécessite donc de parfaire des métaphores, des analogies et de savoir instancier des théorèmes dans des cadres plus accessibles. J'échange beaucoup avec d'autres profs de maths, avec des non-matheux aussi. Et dès que quelqu'un ne comprend pas ce que je dis, je me remets à réfléchir à la mise en scène… car transmettre des maths est avant tout une question de mise en scène, d'histoire que l'on raconte. Or, trop souvent, on n'a qu'une seule façon de raconter les histoires et, si le public ne s'y intéresse pas, on est perdu : « m'enfin elle est cool ma conjecture, non ? »… ben, non, pas pour tout le monde ! Bref il faut d'abord inventer de belles histoires et apprendre à les conter. Un peu comme celles que se racontent les enfants...



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