Bonjour,
Le CA de la SMAI a adopté le texte suivant au sujet du plan S
annoncé par la commission européenne en septembre dernier.
Bien amicalement
T. Horsin.
L'objectif de ce texte est de relayer les craintes de certains de
nos collègues mathématiciens sur les conséquences du plan S qui a
été lancé le 4 septembre dernier. Le plan S prévoit (entre autres
choses) d'obliger les chercheurs financés par l'ERC ou l'ANR à ce
que les articles publiés soient en full open access dès leur
parution. Cela semble très bien sur le principe, mais le diable
est dans le détail, et les acteurs sont nombreux avec des visions
et des intérêts différents (France, Europe, éditeurs, communautés
scientifiques, ...). Quelles seront les conséquences sur notre
pratique de publication ?
Actuellement, pour de nombreux mathématiciens, la situation est la
suivante. Nous publions quasi-systématiquement sur arxiv ou sur
hal une version preprint du papier soumis, et nous mettons à jour
cette version preprint, qui est de fait très proche de la version
publiée. Par ailleurs, nous publions très souvent dans des revues
pour lesquelles (une fois que l'article est accepté pour
publication, bien sûr):
- il n'y a pas de frais de publications si on souhaite juste que
l'article paraisse dans la revue
- il y a des frais si on souhaite que l'article soit disponible
gratuitement dès la publication (gold open access): cette option
n'est donc pas choisie par la majorité d'entre nous.
En fait, la soumission de l'article à un journal n'a qu'un seul
objectif : le processus de reviewing par les pairs. Il ne faut pas
négliger le fait que, pour que ce processus fonctionne, il faut
s'appuyer sur une infrastructure efficace et réactive : gestion
éditoriale électronique adaptée à la communauté, système de
secrétariat. Les bons éditeurs apportent ici une plus-value
importante qui participe à la réputation d'un journal. Et ceci a
bien sûr un coût, qu'il faut rétribuer d'une manière ou d'une
autre.
En étant peut-être trop pessimiste, un écueil possible à la mise
en place du plan S pour les mathématiciens est le suivant: il ne
faudrait pas que la contrepartie du plan S soit qu'il devienne
obligatoire de payer le gold open access pour tout article publié
dans nos revues habituelles. Le statu quo actuel pour l'ERC par
exemple est que si l'article est sur HAL ou arxiv d'une part, et
publié dans un journal même sans gold open access d'autre part, on
remplit bien les conditions de publication ouverte. Il faudrait
que ce statu quo demeure. Et ce n'est pas garanti, car il est
critiquable:
* cela fait deux versions du même article (problème possible pour
les citations et références précises),
* l'éditeur pourrait argumenter qu'on a déjà publié l'article
soumis, et donc le refuser.
Par conséquent, on pourrait imaginer que les éditeurs répondent au
plan S de différentes façons:
* qu'ils n'acceptent plus qu'une version proche de la version
finale soit publiée sur arxiv ou hal (option sans doute délicate à
mettre en place en France qu dispose d'une législation sur le
droit d'auteur qui fait que l'auteur est pleinement propriétaire
de toute version antérieure à celle "travaillée" par l'éditeur).
* qu'ils rendent les frais de publications non nuls, même pour une
parution sans gold open access
* qu'ils fassent pression sur les agences de recherche pour que la
norme devienne le gold open access.
On basculerait donc d'un système lecteur-payeur à un système
auteur-payeur, dans lequel nous serions perdants. Nous serions par
exemple obligés d'utiliser une partie de nos financements pour
pouvoir publier ! On a parfois le sentiment que le plan S a été
conçu pour les communautés qui ont déjà l'habitude de payer pour
publier, et qui souhaitent payer moins, ou du moins avoir plus de
visibilité sur ce qui se cache derrière le prix. On pourrait
imaginer que le plan S a pour objectif que seuls les auteurs
paient, mais qu'en contre-partie, nos établissements n'aient plus
besoin de s'abonner aux revues : dans ce schéma, si les auteurs ne
paient en fait rien (la situation actuelle pour nous !), on voit
mal comment les éditeurs pourraient survivre. Bref, cette
situation n'est pas viable à long terme. Ce n'est pas un point de
fonctionnement, et si l'on souhaite que l'on prenne en compte
notre point de vue, il faut que l'on anticipe quels sont les
aboutissements possibles de ce processus : financement
institutionnel des publications, de l'archivage et de
l'open-access ou bien système auteur-payeur (qui peut s'avérer
lucratif si le nombre de publications augmentent !).
Quelques lectures complémentaires utiles :
- https://jussieucall.org/
- http://euro-math-soc.eu/news/18/10/1/ems-new-developments-concerning-open-access
- https://zenodo.org/record/1305847#.W8dNJFKYRZJ
- https://www.scienceeurope.org/coalition-s/
- http://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/rads_241014.pdf
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